La Recommandation 32 du GAFI

Lutter contre les passeurs de fonds transfrontaliers.

6/2/20255 min temps de lecture

Un enjeu crucial pour l'Afrique de l'Ouest

La Recommandation 32 du GAFI impose aux pays de contrôler les mouvements transfrontaliers d'argent liquide supérieurs à 10 000 euros pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Pour la Côte d'Ivoire et l'Afrique de l'Ouest, cette recommandation représente un défi majeur, notamment avec l'inscription récente de la Côte d'Ivoire sur la "liste grise" du GAFI en octobre 2024.

La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme constitue un enjeu stratégique pour l'Afrique de l'Ouest. Au cœur de cette bataille, la Recommandation 32 du GAFI occupe une place particulièrement sensible pour nos économies, car elle encadre les mouvements transfrontaliers d'argent liquide - une pratique encore très répandue dans notre région.

Qu'est-ce que la Recommandation 32 ?

La recommandation 32 du GAFI traite des mouvements transfrontaliers d'argent liquide et vise spécifiquement à contrôler les "passeurs de fonds". Cette recommandation fait partie des 40 recommandations du GAFI, qui constituent les normes internationalement approuvées contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

C'est par le biais de la recommandation 32 que le GAFI prie ses états membres de mettre en place un arsenal législatif permettant d'encadrer les mouvements de fonds entre les différents pays. Cette norme répond à une problématique concrète : l'utilisation croissante de mouvements physiques d'argent liquide pour contourner les systèmes de surveillance financière traditionnels.

Le contexte africain : GIABA et UEMOA

En Afrique de l'Ouest, la mise en œuvre de la Recommandation 32 se fait principalement à travers deux organismes clés :

Le GIABA (Groupe Intergouvernemental d'Action contre le Blanchiment d'Argent en Afrique de l'Ouest)

Le GIABA mène des évaluations mutuelles des États membres conformément aux normes du GAFI. Créée en 2000, le GIABA est une institution spécialisée de la CEDEAO dont le mandat est de porter la lutte contre blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme, et le financement de la prolifération des armes de destruction massive.

L'UEMOA et la BCEAO

Dans l'espace UEMOA, des règles spécifiques existent déjà. Un seuil de 5.000.000 F CFA est fixé pour la déclaration des transports physiques transfrontaliers d'espèces négociables au porteur, à effectuer auprès l'autorité compétente d'un Etat membre de l'UMOA au point d'entrée ou de sortie du territoire, lors d'un voyage à destination ou en provenance d'un Etat non membre de l'UMOA.

La situation de la Côte d'Ivoire : Un cas d'école

L'inscription sur la liste grise

Le Groupe d'action financière (GAFI), organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, a ajouté la Côte d'Ivoire, ainsi que trois autres pays du continent, à savoir l'Algérie, l'Angola et le Liban à sa "liste grise", lors de sa réunion plénière à Paris en octobre 2024.

Cette inscription signifie que l'ensemble de ces pays visés font l'objet d'une ''surveillance accrue'' et devraient par conséquent travailler activement avec le GAFI pour remédier aux ''déficiences stratégiques de leur régime de lutte contre le Blanchiment de capitaux et le Financement du terrorisme (LBC/FT)''.

Les efforts en cours

L'Evaluation Mutuelle est le mécanisme par lequel, il est procédé à l'évaluation du dispositif de LBC/FT des Etats membres, sur la base des 40 recommandations du Groupe d'Action Financière (Gafi), afin d'en apprécier la conformité technique et l'efficacité.

Les obligations concrètes pour les pays africains

1. Système de déclaration obligatoire

Les États doivent établir un système de déclaration pour les mouvements transfrontaliers d'argent liquide dépassant un seuil défini. En Afrique de l'Ouest, ce seuil varie selon les destinations :

  • 5 millions FCFA (environ 7 600 euros) pour les sorties vers les pays non-UMOA

  • Libre circulation à l'intérieur de l'UEMOA pour les billets BCEAO

2. Pouvoirs de contrôle étendus

Les autorités compétentes doivent disposer de pouvoirs pour :

  • Arrêter et examiner les personnes transportant de l'argent liquide

  • Demander des informations sur l'origine et la destination des fonds

  • Retenir temporairement l'argent en cas de suspicion

3. Coopération régionale

37 % de ces 40 recommandations vous sont dédiées. Il s'agit de celles allant de 9 à 23, qui sont les garantes des mesures à mettre en œuvre par les institutions financières (IF), des Entreprises et Professions non financières désignées (EPNFD) et des prestataires de services d'actifs virtuels (PSAV), selon les explications du GIABA au secteur privé ivoirien.

Défis spécifiques à l'Afrique de l'Ouest

Culture du cash

L'argent liquide, le moyen préféré des malfaiteurs pour blanchir, reste très présent dans nos économies. Cette réalité culturelle et économique complique l'application de la Recommandation 32.

Transferts d'argent informels

Les systèmes de transfert informels, très développés en Afrique de l'Ouest, échappent souvent aux contrôles traditionnels, nécessitant des approches adaptées.

Capacités techniques limitées

Les moyens de contrôle aux frontières et la formation des agents restent des défis majeurs pour une application efficace de la recommandation.

Opportunités et perspectives

Renforcement du secteur privé

Le GIABA engage le secteur privé dans la lutte contre ces fléaux dans l'espace CEDEAO. Cette approche inclusive reconnaît le rôle crucial des entreprises dans la détection des flux illicites.

Intégration régionale

L'UEMOA dispose déjà d'outils comme le SICA-UEMOA qui facilitent les échanges légaux tout en permettant une meilleure traçabilité des transactions.

Assistance technique

Le GIABA et aux autres partenaires au développement d'adapter l'assistance technique requise en Côte d'Ivoire, pour résoudre les problèmes prioritaires identifiés, montrant l'engagement international pour accompagner nos pays.

Recommandations pour les acteurs ivoiriens et ouest-africains

Pour les entreprises

  • Renforcer les procédures de vigilance client

  • Former le personnel aux signaux d'alerte

  • Mettre en place des systèmes de déclaration appropriés

Pour les autorités

  • Harmoniser les seuils de déclaration dans l'espace CEDEAO

  • Renforcer les capacités de contrôle aux frontières

  • Améliorer la coopération entre pays membres

Pour les citoyens

  • Se conformer aux obligations de déclaration lors des voyages

  • Privilégier les canaux officiels pour les transferts d'argent

  • Comprendre les enjeux de sécurité financière

Conclusion

La Recommandation 32 du GAFI représente un défi mais aussi une opportunité pour l'Afrique de l'Ouest. Le communiqué mentionne d'ailleurs que la Côte d'Ivoire s'est engagée ''politiquement à haut niveau'' depuis ce mois d'octobre, à travailler avec le GAFI et le GIABA pour renforcer l'efficacité de son régime de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Pour nos économies en développement, l'enjeu est de trouver l'équilibre entre sécurité financière et facilitation des échanges légitimes. La réussite de cette démarche nécessite une approche coordonnée impliquant tous les acteurs : autorités publiques, secteur privé et société civile.

L'exemple du Sénégal, qui a récemment été retiré de la liste grise du GAFI, montre que des progrès significatifs sont possibles avec de la volonté politique et des efforts soutenus. C'est un chemin que tous les pays de notre région peuvent emprunter pour renforcer leur intégrité financière tout en préservant leur dynamisme économique.