La Recommandation 36 du GAFI

L'Harmonisation des Instruments Internationaux

6/23/20256 min temps de lecture

Introduction

La Recommandation 36 du Groupe d'action financière (GAFI) occupe une position stratégique dans l'architecture normative internationale de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Cette recommandation, consacrée aux instruments internationaux, constitue le socle juridique permettant d'harmoniser les efforts mondiaux de lutte contre ces fléaux transnationaux.

Le Fondement de la Recommandation 36

L'Impératif d'Harmonisation Internationale

La criminalité financière, par sa nature même, transcende les frontières nationales. Face à cette réalité, la Recommandation 36 établit un principe fondamental : les pays doivent prendre des mesures immédiates pour devenir parties et mettre pleinement en œuvre les principales conventions internationales en matière de LBC/FT.

Cette approche s'inscrit dans la logique du GAFI qui reconnaît que les pays disposant de cadres juridiques, administratifs et opérationnels et de systèmes financiers différents, ils ne peuvent pas tous adopter des mesures identiques pour parer à ces menaces. L'harmonisation par les conventions internationales offre donc un dénominateur commun essentiel.

Les Instruments Fondamentaux

La Recommandation 36 identifie quatre conventions internationales prioritaires que les pays doivent ratifier et mettre pleinement en œuvre : la Convention de Vienne de 1988, la Convention de Palerme de 2000, la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2003, et la Convention pour la répression du financement du terrorisme de 1999.

Les Quatre Piliers Conventionnels

1. La Convention de Vienne (1988)

La Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, signée à Vienne le 20 décembre 1988, constitue le texte précurseur qui a, pour la première fois, défini à l'échelle universelle le délit de blanchiment de capitaux et posé les principes directeurs régissant les mesures patrimoniales.

Cette convention revêt une importance particulière car elle a établi les fondements juridiques de la lutte contre le blanchiment. L'article 5 de la Convention de Vienne impose aux États Parties l'obligation d'adopter les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des valeurs patrimoniales, posant ainsi les bases des dispositifs modernes de saisie et confiscation.

Apports majeurs de la Convention de Vienne :

  • Première définition internationale du blanchiment de capitaux

  • Mécanismes de coopération internationale en matière pénale

  • Dispositifs de saisie et confiscation des avoirs illicites

  • Protection des droits des tiers de bonne foi

2. La Convention de Palerme (2000)

La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée à Palerme en 2000, élargit considérablement le champ d'application des mesures anti-blanchiment. Cette convention présente l'avantage de connaître un champ d'application plus large que la Convention de 1988 qui limitait au seul blanchiment du produit des narcotrafics.

La Convention de Palerme et ses protocoles additionnels couvrent notamment :

  • La criminalité organisée transnationale

  • Le trafic de migrants

  • La traite des êtres humains

  • Le trafic d'armes à feu

3. La Convention contre la Corruption (2003)

La Convention des Nations Unies contre la corruption, adoptée à Mérida en 2003, complète l'arsenal juridique international en s'attaquant spécifiquement aux flux financiers illicites liés à la corruption. Cette convention est particulièrement pertinente dans le contexte de la lutte contre le blanchiment car la corruption constitue souvent une infraction sous-jacente génératrice de fonds illicites.

4. La Convention pour la Répression du Financement du Terrorisme (1999)

Adoptée avant les attentats du 11 septembre 2001, cette convention a pris une importance capitale dans le dispositif international de lutte contre le financement du terrorisme. Elle établit un cadre juridique uniforme pour criminaliser le financement du terrorisme et faciliter la coopération internationale.

Les Conventions Complémentaires

Au-delà des quatre conventions fondamentales, la Recommandation 36 encourage également la ratification d'autres instruments pertinents, notamment la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité (2001), la Convention interaméricaine contre le terrorisme (2002), et la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, à la recherche, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (2005).

L'Approche Régionale

Ces conventions régionales témoignent de l'importance d'adapter l'approche globale aux spécificités régionales. Le Conseil de l'Europe a été précurseur en adoptant dès le 8 novembre 1990 la convention sur le dépistage, la saisie et la confiscation des produits du crime, quelques mois seulement après l'adoption des quarante recommandations du GAFI.

L'Impact Pratique de la Recommandation 36

Dans les Évaluations Mutuelles

L'importance de la Recommandation 36 se mesure concrètement à travers les évaluations mutuelles du GAFI. Les résultats montrent des disparités significatives entre les pays. Par exemple, la Suède est notée "conforme" (C) sur la Recommandation 36 - International instruments, témoignant d'une mise en œuvre satisfaisante de cette exigence.

La Transposition en Droit Interne

La simple ratification des conventions ne suffit pas ; leur mise en œuvre effective nécessite une transposition appropriée en droit interne. Le GAFI, en s'appuyant sur les dispositions de la Convention de Vienne et de la Convention de Palerme, émet des recommandations à valeur non-contraignante, dans l'espoir d'inciter ses membres à adopter de nouvelles mesures de lutte.

L'exemple français illustre cette dynamique : c'est par une loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants que le législateur français a pour la première fois mis en place un système de contrôle des opérations financières.

Les Défis de Mise en Œuvre

L'Harmonisation des Définitions

L'un des principaux défis réside dans l'harmonisation des définitions juridiques entre les différentes conventions et les droits nationaux. Chaque convention apporte ses propres spécificités, ce qui peut créer des incohérences dans la mise en œuvre.

La Coopération Internationale

Les conventions établissent des mécanismes de coopération internationale, mais leur effectivité dépend largement de la volonté politique des États et de leurs capacités opérationnelles. Les différences entre systèmes juridiques peuvent compliquer cette coopération.

L'Évolution des Menaces

Les conventions, adoptées à des époques différentes, doivent s'adapter aux évolutions technologiques et aux nouvelles formes de criminalité. Cette adaptation nécessite parfois des protocoles additionnels ou des révisions.

Les Perspectives d'Évolution

Vers de Nouveaux Instruments

L'émergence de nouvelles menaces, notamment liées aux technologies numériques et aux cryptoactifs, pourrait nécessiter l'adoption de nouveaux instruments internationaux ou la révision des conventions existantes.

Le Renforcement de l'Effectivité

Les travaux futurs devront se concentrer sur l'amélioration de l'effectivité des conventions existantes plutôt que sur la multiplication des instruments. Cela passe par un renforcement des mécanismes de suivi et d'évaluation.

L'Inclusion Universelle

Un enjeu majeur reste l'adhésion universelle aux conventions principales. Certains États n'ont pas encore ratifié l'ensemble des quatre conventions fondamentales, créant des lacunes dans le dispositif global.

L'Articulation avec les Autres Recommandations

La Cohérence du Système

La Recommandation 36 ne fonctionne pas en vase clos mais s'articule étroitement avec les autres recommandations du GAFI. Elle fournit le socle juridique international sur lequel s'appuient les mesures spécifiques prévues par les autres recommandations.

L'Approche Basée sur les Risques

Même dans le domaine des instruments internationaux, l'approche basée sur les risques du GAFI trouve sa place. Les pays doivent prioriser leurs efforts de ratification et de mise en œuvre en fonction des risques spécifiques auxquels ils sont confrontés.

Conclusion

La Recommandation 36 du GAFI constitue un pilier essentiel de l'architecture internationale de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En exigeant la ratification et la mise en œuvre des principales conventions internationales, elle assure la cohérence et l'harmonie du dispositif global.

L'efficacité de cette recommandation repose sur la capacité des États à dépasser la simple ratification formelle pour assurer une transposition effective et une application rigoureuse des conventions. Dans un monde où la criminalité financière ne connaît pas de frontières, l'harmonisation juridique internationale n'est pas seulement souhaitable, elle est indispensable.

Les défis actuels et futurs nécessiteront une adaptation continue de ce cadre conventionnel, mais les fondements posés par la Recommandation 36 demeurent solides. L'objectif ultime reste celui d'une couverture juridique universelle et effective, permettant une lutte coordonnée contre les flux financiers illicites à l'échelle planétaire.

Cette recommandation illustre parfaitement la philosophie du GAFI : créer un cadre normatif global tout en respectant la diversité des systèmes juridiques nationaux, dans un esprit de coopération internationale renforcée.