La Recommandation 38 du GAFI

Entraide judiciaire : gel et confiscation

7/7/20256 min temps de lecture

Introduction

La Recommandation 38 du Groupe d'action financière (GAFI) constitue un pilier spécialisé de la coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Dédiée spécifiquement aux aspects patrimoniaux de l'entraide judiciaire, cette recommandation établit le cadre pour une coopération efficace en matière de gel, saisie et confiscation des avoirs d'origine criminelle à l'échelle internationale.

Le Principe Fondamental

L'Autorité d'Action Expéditive

Les pays doivent s'assurer qu'ils ont l'autorité de prendre des mesures expéditives en réponse aux demandes de pays étrangers pour identifier, geler, saisir et confisquer des biens blanchis, des produits du blanchiment de capitaux, des infractions sous-jacentes et du financement du terrorisme, des instruments utilisés dans, ou destinés à être utilisés dans, la commission de ces infractions, ou des biens de valeur correspondante.

Cette formulation met l'accent sur plusieurs éléments clés :

  • La rapidité d'action ("mesures expéditives")

  • La coopération internationale (réponse aux demandes étrangères)

  • L'étendue des biens visés (produits, instruments, biens de valeur correspondante)

Le Champ d'Application Étendu

La recommandation couvre différents types de biens :

  • Biens blanchis : Les actifs ayant fait l'objet d'opérations de blanchiment

  • Produits d'infractions : Les gains tirés d'activités criminelles

  • Instruments du crime : Les biens utilisés pour commettre les infractions

  • Biens de valeur correspondante : Les actifs d'une valeur équivalente aux produits du crime

L'Innovation de la Confiscation Sans Condamnation

Un Mécanisme Révolutionnaire

Cette autorité doit inclure la capacité de répondre aux demandes faites sur la base de procédures de confiscation sans condamnation et de mesures provisoires connexes, à moins que cela ne soit incompatible avec les principes fondamentaux de leur droit interne.

La confiscation sans condamnation représente une évolution majeure du droit pénal moderne. Selon le glossaire du GAFI, cette expression désigne "une confiscation exécutée en vertu d'une procédure judiciaire liée à une infraction pénale pour laquelle une condamnation pénale n'est pas requise".

Les Circonstances d'Application

Pour les demandes de coopération basées sur des procédures de confiscation sans condamnation, les pays n'ont pas besoin d'avoir l'autorité d'agir sur la base de toutes ces demandes, mais doivent être en mesure de le faire, au minimum dans les circonstances où un auteur n'est pas disponible en raison de décès, fuite, absence, ou lorsque l'auteur est inconnu.

Cette disposition pragmatique reconnaît les limites pratiques de la justice pénale traditionnelle et offre des alternatives pour lutter contre l'impunité.

La Gestion Efficace des Biens

Les Mécanismes de Gestion

Les pays doivent également avoir des mécanismes efficaces pour gérer ces biens, instruments ou biens de valeur correspondante, et des arrangements pour coordonner les procédures de saisie et confiscation, qui doivent inclure le partage des avoirs confisqués.

Cette exigence reconnaît que la simple confiscation ne suffit pas ; il faut également prévoir :

  • La gestion des biens saisis (conservation, administration)

  • La coordination des procédures entre États

  • Le partage équitable des avoirs récupérés

L'Administration des Biens Saisis

La gestion efficace des biens saisis représente un défi considérable. En témoigne l'état parfois déplorable des biens qui s'accumulent dans les chambres des scellés des palais de justice ou les frais de gardiennage qui grèvent lourdement le budget des juridictions.

Certains pays ont innové en permettant l'utilisation temporaire des biens saisis. Par exemple, la loi française permet au juge d'ordonner l'affectation à titre gratuit aux services de police, de gendarmerie ou à la douane judiciaire des voitures de grosse cylindrée ou motos saisies aux délinquants pour renforcer les moyens de la lutte contre la délinquance.

Le Fonds de Confiscation

Une Recommandation Innovante

Les pays doivent considérer l'établissement d'un fonds de confiscation d'avoirs dans lequel tous, ou une partie, des biens confisqués seront déposés pour l'application de la loi, la santé, l'éducation, ou d'autres fins appropriées.

Cette disposition vise à optimiser l'utilisation sociale des avoirs récupérés, transformant les instruments du crime en outils de prévention et de développement social.

Le Partage International

Les pays doivent prendre les mesures qui peuvent être nécessaires pour leur permettre de partager entre ou parmi d'autres pays les biens confisqués, en particulier, lorsque la confiscation est directement ou indirectement le résultat d'actions coordonnées d'application de la loi.

Les Meilleures Pratiques

Le Document de Référence

Le GAFI a publié des "Meilleures pratiques sur la confiscation" qui visent à assister les pays dans la mise en œuvre des Recommandations 4 et 38, traiter les obstacles à une confiscation efficace et mettre en place un cadre pour les travaux menés au niveau international sur le recouvrement des avoirs.

Ces meilleures pratiques soulignent qu'un système robuste de mesures provisoires et de confiscation constitue une partie importante d'un régime efficace de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

L'Importance Préventive

La confiscation empêche que les biens criminels soient blanchis ou réinvestis soit pour faciliter d'autres formes de crime soit pour dissimuler des produits illicites.

L'Application Pratique

Dans les Évaluations Mutuelles

L'efficacité de la Recommandation 38 se mesure concrètement dans les évaluations des pays par le GAFI. Par exemple, l'Afrique du Sud a démontré des progrès en "renforçant l'identification, la saisie et la confiscation des produits et des instruments d'un éventail plus large d'infractions sous-jacentes".

Les Défis Opérationnels

Plusieurs pays font face à des défis similaires :

  • Liban : Amélioration des mécanismes pour garantir l'exécution efficace et en temps opportun des demandes d'entraide judiciaire, d'extradition et de recouvrement des avoirs

  • Bulgarie : Veiller à ce que la confiscation soit poursuivie en tant qu'objectif politique

Les Développements Récents

L'Évolution Européenne

L'Union européenne a récemment adopté la Directive (UE) 2024/1260 relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs, qui prévoit notamment :

  • La confiscation élargie lorsque le bien provient d'un comportement délictueux

  • La confiscation sans condamnation lorsque l'action pénale n'a pas pu être menée à son terme

Les Innovations Technologiques

L'émergence des cryptoactifs pose de nouveaux défis pour la mise en œuvre de la Recommandation 38. Les biens incluent désormais explicitement "les crypto-actifs" selon les définitions récentes.

Les Obstacles et Solutions

Les Difficultés Structurelles

Plusieurs obstacles peuvent entraver l'efficacité de la Recommandation 38 :

  • Différences juridiques entre systèmes nationaux

  • Complexité des procédures internationales

  • Ressources insuffisantes pour la gestion des biens

  • Manque de coordination entre autorités

Les Solutions Adoptées

Pour surmonter ces défis, les pays adoptent diverses stratégies :

  • Création de bureaux spécialisés de recouvrement des avoirs

  • Formation du personnel aux techniques modernes

  • Harmonisation progressive des législations

  • Coopération renforcée entre agences

L'Impact sur la Criminalité Organisée

L'Effet Dissuasif

L'expérience irlandaise illustre l'efficacité potentielle de ces mécanismes. Selon les représentants du Bureau de recouvrement des avoirs (BAC), "de nombreux membres du crime organisé ont déplacé leurs activités hors d'Irlande, surtout au cours des cinq premières années de la mise en œuvre" du système de confiscation civile.

Les Résultats Concrets

Le succès du système irlandais semble largement dû au rôle efficace joué par le BAC, qui a initialement ciblé des criminels bien connus ayant accumulé de grandes quantités de biens sans sources de revenu licites apparentes.

Les Garanties Procédurales

Protection des Droits

Bien que visant l'efficacité, la Recommandation 38 maintient des garanties importantes :

  • Respect des "principes fondamentaux du droit interne"

  • Protection des "droits des tiers de bonne foi"

  • Procédures judiciaires appropriées

L'Équilibre Délicat

La recommandation cherche à équilibrer :

  • Efficacité dans la récupération d'avoirs

  • Respect des droits de la défense

  • Coopération internationale

  • Souveraineté juridique nationale

Conclusion

La Recommandation 38 du GAFI représente une avancée majeure dans l'arsenal international de lutte contre la criminalité financière. En étendant la coopération aux aspects patrimoniaux et en intégrant des mécanismes innovants comme la confiscation sans condamnation, elle offre aux États des outils puissants pour priver les criminels de leurs profits illicites.

Son efficacité repose sur plusieurs piliers : une autorité claire d'action expéditive, des mécanismes de gestion appropriés, une coordination internationale renforcée et un partage équitable des avoirs récupérés. L'innovation de la confiscation sans condamnation constitue particulièrement une réponse pragmatique aux limites de la justice pénale traditionnelle.

Les expériences nationales, comme celle de l'Irlande, démontrent l'impact potentiel de ces mécanismes sur la criminalité organisée. Cependant, la mise en œuvre effective nécessite des ressources adéquates, une formation appropriée et une volonté politique forte.

Face aux évolutions de la criminalité, notamment l'essor des cryptoactifs, la Recommandation 38 devra continuer d'évoluer. Son succès futur dépendra de la capacité des États à maintenir un équilibre entre efficacité opérationnelle et respect des garanties fondamentales, dans un esprit de coopération internationale renforcée.

Cette recommandation illustre parfaitement l'évolution moderne du droit pénal : d'une approche centrée sur la sanction personnelle vers une stratégie globale visant à priver le crime de ses ressources économiques, reconnaissant que "le crime ne paie pas" doit devenir une réalité concrète plutôt qu'un simple slogan.